Voulez-vous entrer dans le son ? Au-dedans. Consentez-vous à pénétrer sa chair ? Pénétrer et fluer, oublieux, dans les veines du son ? Et laisser en retour le son s’introduire en soi par poussées fluides, si souples. Lentement mais sûrement, les veines du son, les veines de soi, s’entre-ramifiant. S’interpénétrant, le corps qui écoute et le corps sonore qui flue back and forth en vagues vibrantes, majestueusement pulsées, étagées. Graves. Au sens de la grave mer. La grave étendue. Sa houle patiente. La grave et charnelle substance sonore pénétrée et pénétrante. Entrer en oubli, dans la chair même du son, où ne se joue plus aucune histoire, où va se déliter la mémoire. Oublieux de soi. Enroulé, lové dans une boucle de temps comme vague infiniment recommencée. Roulis et non-soi graduel. Unself. Une complexe érosion rythmique insiste, perdure, émiette une à une les résistances. Écume dispersée des résistances. Abandon. Dans la chair du son devenant chair de soi, tenu en suspens. Le moment indéfiniment retenu. Voulez-vous descendre par paliers successifs, infiniment égaux bien qu’infiniment autres jusqu’à la possibilité d’une absence, d’une vacance pure ? Consentez-vous à faire corps commun avec le son purgé de toute histoire, de toute attente ? De lui, chaque poussée apporte sa charge de temps épuré. Dans l’enceinte du moment retenu, ni mémoire, ni attente n’ont plus cours. La chair sonore absorbe comme un buvard le temps et le restitue, le dépose, l’échoue à répétition en lambeaux globalement identiques et pourtant subtilement changeants. Le moment retenu est vivant. Il n’évolue plus et pourtant respire, tourne sur lui-même, au ralenti. Le ralenti pénètre jusqu’au cœur. Persistante enveloppe du moment suspendu. Moment sphérique. Où respirer le son si calme. Le va-et-vient du souffle imprégné de somptueuses fréquences. Inhaler la chair sonore. L’oreille, pour cette fois, assure la respiration. L’oreille consentante et concentrée conduit par paliers successifs jusqu’au seul mouvement respiratoire, rendu peu à peu si large. Le corps écoutant s’étend à celui de la grave mer. Flux et reflux si vaste au cœur du moment retenu. À l’unisson du si vaste berceau. Au ventre de la mer.
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